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La faille de la métacognition dans l’apprentissage

1.  Une faille

Vous êtes-vous déjà posé la question : « Est-ce que je vais retenir ce que j’étudie ? ». A priori, si je prends du temps pour étudier, c’est pour connaître plus de choses après.

Quand on se pose cette question, on active notre système de surveillance interne, qu’on appelle la métacognition. La métacognition permet de surveiller et de contrôler les autres fonctions cognitives.

La métacognition, notre système de surveillance interne

2.      Les chercheurs

Il existe une faille majeure dans ce système de surveillance, qui compromet la réussite d’un apprentissage volontaire et maîtrisé. Cette faille a été découverte en 2004 par deux grands chercheurs en sciences cognitives de l’apprentissage, Asher Koriat et Robert Bjork. (Koriat et al., 2005)

Ces chercheurs ont reçu de nombreux étudiants pour savoir s’ils savaient répondre à la question « Qu’est-ce que je vais retenir de mon apprentissage ? ».

3.      L’expérience

1.             Le protocole

Ils ont accueilli les étudiants un par un et leur ont donné 60 paires de mots à retenir. C’est typiquement ce qu’on fait quand on apprend du vocabulaire dans une nouvelle langue. On apprend la version étrangère et on l’associe à la version française. Par exemple chien-dog.

30 paires étaient faciles à retenir, 30 autres étaient difficiles à retenir.

Voici les quatre étapes de l’expérience :

1. On accueille l’étudiant et on lui explique qu’il va devoir mémoriser 60 paires de mots.

  • Puis on affiche sur un écran chaque paire de mots à l’étudiant, une par une, pendant 4 secondes ;
  • Après la présentation de chaque paire, on affiche la question « Notez de 0 à 100% la probabilité de retrouver le 2e mot si on vous présente le 1er dans 10 minutes ». Ça nous permet de mesurer ce que lui remonte sa métacognition sur la question « Est-ce que je vais retenir ce que j’étudie ? ».

  • On le teste 10 minutes après pour mesurer ses performances réelles, et on les compare aux performances estimées durant l’apprentissage.

2.             Le résultat

Voilà ce que les résultats démontrent dans ce type d’expérience :

  • Les étudiants prédisaient obtenir une note de 15/20 (76,3% de réponses correctes) pour les paires faciles, et une note de 5/20 (26,8% de réponses correctes) pour les paires difficiles.
  • On voit bien que le système de surveillance détecte la difficulté et ajuste la prédiction.

Mais leurs prédictions étaient-elles exactes ?

La réponse est oui. La performance moyenne lors des tests de rappel s’alignait presque exactement sur les prédictions (avec une marge d’erreur inférieure à 2%). On dit que le jugement d’apprentissage est bien calibré sur la difficulté : on sait bien prédire comment la difficulté influence notre apprentissage. Mais…

3.             Protocole : 2e partie

En fait, l’équipe de recherche a changé le moment du test. Il existait en réalité 3 versions de l’expérience.

La première, celle qu’on a vue, posait la question : « Notez de 0 à 100% la probabilité de retrouver le 2e mot si on vous présente le 1er dans 10 minutes »

La deuxième version posait la question : « Notez de 0 à 100% la probabilité de retrouver le 2e mot si on vous présente le 1er  dans 1 jour »

Et la troisième version « Notez de 0 à 100% la probabilité de retrouver le 2e mot si on vous présente le 1er  dans 1 semaine. »

On a en fait varié ce qu’on appelle le délai de rétention, l’espace temporel entre l’apprentissage et le test. Et là qu’est-ce qu’on observe sur les prédictions ?

4.             Résultats : 2e partie

Les prédictions sont reportées sur ce graphique.

On voit bien que les prédictions s’alignent sur un axe horizontal. Qu’est-ce que ces résultats nous apprennent sur notre perception de l’apprentissage ?

Simplement que nous percevons nos apprentissages comme stables et constants dans le temps. Pour s’en assurer, les tests ont été reproduits avec d’autres délais de rétention : 6 semaines et 1 an. L’alignement persiste même sur des délais aussi grands.

Est-ce que pour autant nos performances restent constantes dans le temps ? Voici les performances réelles des étudiants. Elles traduisent une réalité dont notre système de surveillance ne tient absolument pas compte : l’oubli !

4.      La courbe de l’oubli

Bien que l’oubli soit une réalité dont on avait déjà conscience pendant l’Antiquité, ce n’est qu’en 1885 qu’on a réussi à le mesurer pour la première fois. Cette mesure, réalisée initialement par Hermann Ebbinghaus, a été répliquée à maintes reprises et reste généralisable à l’ensemble des apprentissages. Voici la forme de la courbe de l’oubli. Les traces laissées par l’apprentissage dans notre mémoire s’effacent en fait à une vitesse exponentielle. (Murre & Dros, 2015)

5.   L’illusion de maîtrise

Mais notre cerveau ne nous remonte pas cette information. Avant Ebbinghaus, personne n’a jamais su décrire précisément le phénomène de l’oubli. Tout simplement parce que nous ne le percevons pas.

C’est une faille majeure de notre système de surveillance. Nous n’avons pas le sens de l’oubli. La conséquence, c’est que nous avons l’illusion de maîtriser des connaissances parce qu’elles sont présentes maintenant dans notre cerveau. Donc les décisions que nous prenons quand il s’agit d’apprendre tiennent compte de certains facteurs comme la difficulté, mais pas de l’oubli. (Kornell & Bjork, 2009; Kornell, 2012)

6.      Compenser : première piste

Koriat et Bjork, après de multiples expériences, ont trouvé des pistes pour améliorer notre système de surveillance de l’apprentissage. Notre système de surveillance commence à tenir compte de l’oubli si on se pose précisément les questions « A quelle vitesse je risque d’oublier ce que j’apprends ? », « Qu’est-ce que j’aurai oublié dans 1 jour, 1 semaine, 1 mois, 1 an…? »

Au fait, pourquoi l’oubli est un problème pour l’apprentissage ? Quand on revient sur un cours qu’on a oublié, on doit réapprendre ce qu’on a oublié avant d’aller plus loin. On progresse peu.

N’oubliez jamais que

  • Le système de surveillance de nos apprentissages, la métacognition, comporte une faille majeure : on n’a pas le sens de l’oubli
  • On oublie à une vitesse exponentielle càd que beaucoup d’informations sont perdues rapidement après la phase d’étude
  • Se poser régulièrement des questions sur ce qu’on va oublier permet d’améliorer notre système de surveillance

8.      Bibliographie

Koriat, A., Bjork, R., Sheffer, L., & Bar, S. (2005). Predicting One’s Own Forgetting : The Role of Experience-Based and Theory-Based Processes. Journal of experimental psychology. General133, 643‑656. https://doi.org/10.1037/0096-3445.133.4.643

Kornell, N. (2012). A Stability Bias in Human Memory. In N. M. Seel (Éd.), Encyclopedia of the Sciences of Learning (p. 4‑7). Springer US. https://doi.org/10.1007/978-1-4419-1428-6_1683

Kornell, N., & Bjork, R. A. (2009). A stability bias in human memory : Overestimating remembering and underestimating learning. Journal of Experimental Psychology. General138(4), 449‑468. https://doi.org/10.1037/a0017350

Murre, J. M. J., & Dros, J. (2015). Replication and Analysis of Ebbinghaus’ Forgetting Curve. PloS One10(7), e0120644. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0120644

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