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L’état d’esprit de croissance

Les buts d’évitement

L’étude du comportement a permis de déduire l’existence de buts que nous n’avons pas l’habitude d’évoquer, probablement parce qu’ils sont suggérés à notre Système 2 par notre Système 1 : les buts d’évitement.

1. Qu’est-ce qu’un but d’évitement ?

Les psychologues de la motivation différencient les buts qu’on cherche à atteindre, qu’ils appellent les buts d’approche, des buts d’évitement, qui représentent les évènements qu’on ne veut surtout pas voir arriver. En voici quelques-uns : la honte, l’humiliation, l’échec, la perte, la ruine, l’injustice, le conflit, passer pour quelqu’un d’incompétent, etc.

 But d’approcheBut d’évitement
ArgentGagnerNe pas perdre
AlimentationManger ce qui est appétissantNe pas manger ce qui est dégoutant
PerformanceRéussirNe pas échouer
CompétenceAttester sa compétenceNe pas attester son incompétence

D’une façon empirique, on s’aperçoit que les éléments négatifs ont un effet psychologique plus fort que les effets positifs. Par exemple, un seul insecte dans un bol de cacahuètes suffit à le rendre dédégoûtant, alors qu’une seule cacahuète est incapable de rendre un bol d’insectes appétissant (Baumeister et al., 2001). Dans un autre contexte, Daniel Kahneman a démontré que nous avons une aversion à la perte : perdre 1000 euros aura tendance à plus nous affecter qu’en gagner 1000 (Kahneman, 2011).

2. But d’évitement de la (mauvaise) performance

Lorsqu’on se trouve dans un contexte de notation, le but qui prédomine la plupart du temps est le but d’évitement de la (mauvaise) performance. Les apprenants se focalisent autour du seuil sous lequel il ne faut pas passer, souvent la note de 10/20, pour éviter d’être classés parmi les incompétents. Les apprenants se focalisent alors à trouver une stratégie pour atteindre ce but d’évitement qui favorise souvent un apprentissage superficiel. Le gros inconvénient c’est qu’une fois le but d’évitement validé (on a obtenu une note supérieure ou égale à 10/20), l’engagement dans l’apprentissage est abandonné, puis le cours est oublié (Luo et al., 2011).

3. But d’évitement de la compétence (ou plutôt de l’incompétence)

Un autre phénomène est observé. Ne pas s’engager dans un apprentissage est une façon inconsciente de protéger l’estime de soi. Soit on réussit sans travailler, dans ce cas on passe (et on se prend) pour un génie, soit on échoue sans travailler, dans ce cas ce n’est pas notre compétence qui fait défaut, c’est notre volonté. Dans les deux cas, on évite les jugements sur notre compétence. L’inconvénient, c’est qu’en réalité on entretient une illusion de compétence et qu’on évite un réel développement de ses compétences. Dans ce sens, on observe des comportements d’auto-handicap : par exemple, aller en soirée la veille des examens et arriver KO aux épreuves pour avoir une bonne raison d’échouer autre que le manque de compétences. Ce comportement est lié à une croyance fixiste. (Carré & Fenouillet, 2019)

4. Influence des croyances et sentiments sur notre fixation d’objectifs

En tant qu’apprenant, on peut posséder différents modèles mentaux ou différentes croyances.

Avoir une croyance fixiste, c’est croire que les capacités sont innées et stables, comme un ensemble de forces et de faiblesses prédéterminées ou un talent fixe. Cette croyance conduit plutôt à chercher à prouver sa valeur et à éviter des situations qui révèleraient une incompétence irrémédiable. Cette croyance est auto-réalisatrice dans la mesure où elle développe l’évitement de l’erreur. En évitant l’erreur on se prive d’un élément clé de l’apprentissage et on s’empêche de progresser. On ne devient donc jamais bon dans les domaines dans lesquels on croit manquer de talent.

A l’opposé, croire que nos capacités intellectuelles (mémoire, intelligence, volonté, coopération, etc.) sont malléables et qu’elles peuvent être augmentées par l’effort, c’est avoir une croyance dite « incrémentale ». Cette croyance incrémentale permet d’adopter un état d’esprit de croissance, dans lequel nous pouvons développer nos capacités intellectuelles chaque fois plus. Cette croyance conduit à percevoir les objectifs de réussite comme des occasions de développer et d’élargir ses compétences (Haimovitz & Dweck, 2017). Cette croyance pousse à faire des efforts et à chercher des solutions pour surmonter les difficultés, et à attribuer les mauvaises performances à un manque d’efforts plutôt qu’à un manque de capacité.

5. Les incroyables travaux de Carol Dweck

Plusieurs décennies de recherche ont permis à Carol Dweck, professeur de psychologie de l’université de Stanford, de réunir de plus en plus de preuves sur le rôle causal de l’état d’esprit de croissance sur la réussite. Prenant conscience de l’importance de ce facteur, le gouvernement du Chili décida en 2012 de questionner tous les élèves de seconde du pays (10th grade dans le système américain) ainsi que leur famille afin de savoir s’ils possédaient un état d’esprit de croissance ou une croyance fixiste, de connaître leur niveau de richesse et leurs résultats scolaires. 168 203 élèves ont répondu.  Carol Dweck s’associa à d’autres chercheurs pour publier en 2016 une étude à partir de ces données.

Voici les résultats de cette étude :

Premièrement, A niveau de revenu égal, les élèves adoptant un état d’esprit de croissance obtiennent de meilleurs résultats scolaires que ceux ayant une croyance fixiste. Statistiquement, sur une classe de 30 élèves, ceux qui possèdent un état d’esprit de croissance ont 3 fois plus de chance que les autres d’être dans les 6 meilleurs de la classe. Le sens de la relation a été établie dans de précédentes études. L’état d’esprit de croissance est bien à l’origine d’une augmentation des performances.(Aronson et al., 2002; Blackwell et al., 2007; Good et al., 2003; Paunesku et al., 2015; Yeager et al., 2016)

Deuxièmement, plus les revenus des familles sont faibles, plus la croyance fixiste est répandue. Bien que les données existantes ne puissent pas expliquer pourquoi les étudiants à faible revenu étaient plus susceptibles d’adopter une croyance fixiste, cette constatation suggère que le désavantage économique peut conduire à de moins bons résultats scolaires, en partie en amenant les étudiants à faible revenu à croire qu’ils ne peuvent pas développer leurs capacités intellectuelles.

Troisièmement, le milieu défavorisé amplifie les effets néfastes d’un état d’esprit fixiste ou, à l’inverse, un état d’esprit de croissance permet d’atténuer le désavantage socio-économique. Ainsi les élèves provenant des 10% les plus pauvres mais possédant un état d’esprit de croissance obtiennent des résultats scolaires comparables à des étudiants dont les familles gagnent 13 fois plus.(Claro et al., 2016)

Une expérience a laquelle participa Carol Dwerck mérite toute notre attention. Il s’agit de l’évaluation de l’impact d’une intervention de moins d’une heure sur l’enseignement de l’état d’esprit de croissance. Cette intervention sous forme de cours en ligne a été délivrée en novembre 2015 auprès de plus de 6000  élèves de 3e (9th grade). Celle-ci s’appuie sur une métaphore mémorable : le cerveau est comme un muscle qui devient plus fort et plus intelligent lorsqu’il subit des expériences d’apprentissage rigoureuses (Aronson et al., 2002). Cette expérience rigoureusement contrôlée, publiée dans Nature, a conduit à une augmentation des notes scolaires de l’ensemble des apprenants et à une diminution de 11% l’échec scolaire. (Yeager et al., 2019)

Pour conclure, adopter un état d’esprit de croissance, c’est croire dans le développement de ses capacités intellectuelles et relever les défis d’apprentissage quitte à s’exposer à l’échec.

N’oubliez jamais que

  • Éviter de prendre des risques dans un domaine parce que nous ne nous trouvons pas doués nous empêche de progresser dans ce domaine
  • Nous pouvons tous progresser dans la plupart des domaines à condition d’y croire et de nous y engager : c’est ça, posséder un état d’esprit de croissance
  • Un cours en e-learning de moins d’une heure peut réduire de 10% le taux d’échec

Ressources complémentaires

Carol Dweck, référence de la recherche sur l’état d’esprit de croissance

Comment développer l’état d’esprit de croissance ? Découvrez-le à travers ces deux vidéos

Bibliographie

Aronson, J., Fried, C. B., & Good, C. (2002). Reducing the Effects of Stereotype Threat on African American College Students by Shaping Theories of Intelligence. Journal of Experimental Social Psychology38(2), 113‑125. https://doi.org/10.1006/jesp.2001.1491

Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than good. Review of general psychology5(4), 323‑370.

Blackwell, L. S., Trzesniewski, K. H., & Dweck, C. S. (2007). Implicit Theories of Intelligence Predict Achievement Across an Adolescent Transition : A Longitudinal Study and an Intervention. Child Development78(1), 246‑263. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.2007.00995.x

Carré, P., & Fenouillet, F. (2019). Traité de psychologie de la motivation : Théories et pratiques. Dunod.

Claro, S., Paunesku, D., & Dweck, C. S. (2016). Growth mindset tempers the effects of poverty on academic achievement. Proceedings of the National Academy of Sciences113(31), 8664‑8668. https://doi.org/10.1073/pnas.1608207113

Good, C., Aronson, J., & Inzlicht, M. (2003). Improving adolescents’ standardized test performance : An intervention to reduce the effects of stereotype threat. Journal of Applied Developmental Psychology24(6), 645‑662.

Haimovitz, K., & Dweck, C. S. (2017). The Origins of Children’s Growth and Fixed Mindsets : New Research and a New Proposal. Child Development88(6), 1849‑1859. https://doi.org/10.1111/cdev.12955

Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. Macmillan.

Karlen, Y., Suter, F., Hirt, C., & Maag Merki, K. (2019). The role of implicit theories in students’ grit, achievement goals, intrinsic and extrinsic motivation, and achievement in the context of a long-term challenging task. Learning and Individual Differences74, 101757. https://doi.org/10.1016/j.lindif.2019.101757

Luo, W., Paris, S. G., Hogan, D., & Luo, Z. (2011). Do performance goals promote learning? A pattern analysis of Singapore students’ achievement goals. Contemporary Educational Psychology36(2), 165‑176. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2011.02.003

Paunesku, D., Walton, G. M., Romero, C., Smith, E. N., Yeager, D. S., & Dweck, C. S. (2015). Mind-set interventions are a scalable treatment for academic underachievement. Psychological science26(6), 784‑793.

Yeager, D. S., Hanselman, P., Walton, G. M., Murray, J. S., Crosnoe, R., Muller, C., Tipton, E., Schneider, B., Hulleman, C. S., Hinojosa, C. P., Paunesku, D., Romero, C., Flint, K., Roberts, A., Trott, J., Iachan, R., Buontempo, J., Yang, S. M., Carvalho, C. M., … Dweck, C. S. (2019). A national experiment reveals where a growth mindset improves achievement. Nature573(7774), 364‑369. https://doi.org/10.1038/s41586-019-1466-y

Yeager, D. S., Romero, C., Paunesku, D., Hulleman, C. S., Schneider, B., Hinojosa, C., Lee, H. Y., O’Brien, J., Flint, K., & Roberts, A. (2016). Using design thinking to improve psychological interventions : The case of the growth mindset during the transition to high school. Journal of educational psychology108(3), 374.

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