Votre référentiel de formation tend très certainement à répondre à l’Approche Par Compétence (APC). Il est important de comprendre pourquoi pour savoir comment se repérer et s’approprier cette approche.
L’approche traditionnelle et ses limites
Voici la façon dont nous procédons intuitivement la plupart du temps pour concevoir nos formations.
- Nous identifions les contenus et les objectifs de l’Unité d’Enseignement (ou équivalent) dont nous avons la charge
- Nous concevons un cours explicatif pour expliquer le contenu de l’UE
- Nous concevons des exercices pour vérifier la maîtrise du contenu et l’avancement vers les objectifs pédagogiques
- Nous concevons un examen pour valider la maîtrise du contenu et l’atteinte des objectifs pédagogiques
La limite de cette approche est qu’elle nous conduit à reproduire un schéma disciplinaire dans lequel nous perdons de vue les finalités et nous n’avançons pas efficacement.
Nous construisons le parcours de formation dans l’ordre dans lequel nous allons le conduire, et lorsque nous arrivons au bout, il y a un fossé entre ce qui a été enseigné, et ce qui fait un professionnel compétent.
Par conséquent :
- La formation n’est pas très motivante car elle ne répond pas bien à la question « à quoi ça sert d’apprendre ça ? »
- La formation ne prépare pas bien à la pratique et au terrain
Comment construire son programme de formation en cohérence avec l’Approche par compétence
Le principe de base de l’APC est de changer le point de départ de la conception pédagogique en suivant une logique de rétroconception. On part de la destination finale pour en déduire étape par étape le parcours à construire pour s’y rendre.
1ère étape : Poser les situations-problèmes typiques
L’étape finale est l’activité professionnelle. Votre référentiel de formation contient certainement un référentiel d’activité listant les différentes situations dans lesquelles un professionnel doit savoir agir avec compétence. Ces situations peuvent être qualifiées de situations-problèmes. Prendre une pause-café fait bien partie des situations professionnelles mais ce n’est pas une situation-problème : elle ne mobilise pas de compétence.
Cette destination finale de la formation est la première étape dans l’approche par compétence.
Et c’est aussi par-là que nous vous recommandons d’aborder votre séquence pédagogique. Dans quelles situations-problèmes, autrement dit dans quels cas d’usages, prévoyez-vous que vos apprenants mobilisent ce que vous leur donnerez à apprendre ?
Une situation-problème typique doit être authentique, c’est-à-dire se rapprocher des situations réelles auxquelles l’apprenant sera confronté dans sa vie professionnelle. Elle doit avoir un certain niveau de complexité et représenter un certain défi. Elle doit être contextualisée.
2e étape : Identifier la compétence à développer pour résoudre les situations-problèmes
La seconde étape est de déduire des situations-problèmes les différentes compétences nécessaires pour agir de manière efficace dans un métier donné.
Pour agir avec compétence face à une situation-problème, il faut être capable de mobiliser des ressources internes : connaissances, habiletés, attitudes (appelés aussi savoirs, savoir-faire, savoir-être). Pour autant, les théoriciens de la compétence soutiennent que posséder ces ressources internes ne suffit pas, il faut savoir les combiner entre elles et s’appuyer également sur les ressources externes disponibles (équipe, logiciels, etc.).
Vous pouvez appliquer la même logique à l’échelle de votre Unité d’Enseignement. Il s’agit de partir des situations-problèmes typiques que vous avez identifiées, et d’en déduire comment sont mobilisées les composantes de la compétence en situation. Par exemple, lorsqu’un professionnel de santé doit interpréter une prise du sang, les normes sont-elles incluses dans le rapport du laboratoire ? Les valeurs sont-elles interprétées ? Où se situe la difficulté et la valeur ajoutée du professionnel ? Dans cette situation-problème précise, qu’est-ce le professionnel doit connaître, quel savoir-faire doit-il utiliser, quelle posture entraînée doit-il adopter ?
3e étape : Construire l’examen
La compétence est une caractéristique d’un individu à laquelle on n’a pas directement accès. Elle n’est pas directement observable.
On est donc obligé de la déduire indirectement. C’est la raison d’être des examens. Le problème, c’est que si l’examen n’est pas bien conçu, il ne mesure pas la bonne chose. L’erreur à laquelle conduit une approche classique, c’est de construire des examens pour vérifier l’apprentissage des cours. Si l’examen est conçu ainsi, il permettra de valider que les cours sont bien appris mais il ne permettra pas d’évaluer correctement le développement de la compétence.
Pour bien évaluer la compétence, il faut construire l’examen au plus proche des situations-problèmes du métier, donc à partir des situations-problèmes, et non pas à partir des cours.
Dans la vie professionnelle réelle par exemple, les situations-problèmes ne sont souvent pas
- décontextualisées
- cloisonnées à un champ disciplinaire
Elles sont souvent
- ancrées dans un contexte fort
- transdisciplinaires
A vous de trouver le bon compromis pour vous rapprocher de la situation-problème dans vos examens dans la mesure de vos moyens.
Pensez notamment à contextualiser les questions et problèmes posés (par exemple le patient à un nom, une histoire (anamnèse), …) et à y intégrer de la transdisciplinarité a minima avec les pré-requis de l’UE.
4e étape : Concevoir le parcours de formation
Cette logique de rétroconception caractéristique de l’APC a le mérite de régler un dilemme. Faut-il concevoir les cours pour préparer à la pratique ou pour réussir l’examen ?
Si l’examen reflète la complexité de la pratique et évalue bien la compétence en développement, alors c’est le même chemin d’apprentissage qui conduit aux deux. Si cet alignement est imparfait, le travail sur les situations-problèmes, les compétences et les évaluations vous permettra d’identifier les corrections souhaitables et possibles sur ce parcours d’apprentissage.
Par ailleurs, il y a un effort de décentration à réaliser en tant que formateur. L’APC nous invite à ne plus non demander « Comment est-ce que je vais enseigner cet UE ? » mais à nous demander « Comment vont-ils apprendre à résoudre ce type de situations-problèmes ?».
Résumé des étapes de l’approche par compétence
- L’Approche Par Compétence suit une logique de rétroconception
- La première étape est de dresser les situations-problèmes à résoudre dans l’activité professionnelle
- La seconde étape est d’identifier les savoirs, savoir-faire, attitudes à articuler pour agir avec compétence dans ces situations problèmes
- La troisième étape est de concevoir un examen permettant d’évaluer le développement de ce savoir agir avec compétence
- La quatrième étape est de concevoir le parcours de formation préparant l’examen
Bibliographie
Annexe 3.5. Université de Montréal, Baccalauréat en sciences infirmières – Exemple de question à développement et sa grille de correction. (2017). In Organiser la formation à partir des compétences (p. 257‑269). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.pouma.2017.01.0257
Goudreau, J., & Boyer, L. (2017). Chapitre 3. Dix ans de mise en œuvre d’un programme de 1er cycle universitaire en sciences infirmières basé sur l’approche par compétences : Toujours des enjeux d’évaluation. In Organiser la formation à partir des compétences (p. 63‑79). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.pouma.2017.01.0063
McClelland, D. C. (1973). Testing for competence rather than for » intelligence. ». American psychologist, 28(1), 1.
Morcke, A. M., Dornan, T., & Eika, B. (2013). Outcome (competency) based education : An exploration of its origins, theoretical basis, and empirical evidence. Advances in Health Sciences Education, 18, 851‑863.
Pour aller plus loin
Jacques Tardif est l’un des psychologues ayant grandement contribué à la compréhension et à la diffusion de l’Approche Par Compétence dans la francophonie. Vous trouverez ci-dessous une conférence et un livre pour mieux découvrir son approche.