Sommaire
Toggle1. La maîtrise de soi (ou self-control)
1. Exemple
En réalisant le test du marshmallow, Mischel a finalement découvert une capacité de notre système cognitif : la maîtrise de soi (ou self-control en anglais), autrement dit la capacité à résister à la tentation.[1] Une tentation est un désir qui rentre en conflit avec un objectif spécifique.
Par exemple, je me suis donné pour objectif de travailler mes mathématiques ce soir. Mon petit frère vient me dire qu’il y a le dernier James Bond à la télé parce qu’il sait que j’aime bien les James Bond. Je me retrouve à devoir décider entre James Bond, un plaisir immédiat, et les mathématiques, mon projet d’origine. Selon mes objectifs et mes échéances, le caractère conflictuel de ce désir peut se discuter. Si je n’ai pas d’examen demain, je peux remettre à demain mes mathématiques.
2. Théorie S1/S2 partie 1
Nous avons vu que la maîtrise de soi permet de renoncer à un plaisir instantané pour obtenir quelque chose de plus souhaitable à plus long terme. La maîtrise de soi prend ici la forme de ne pas s’engager dans un comportement qu’on pourrait regretter. Il existe un équivalent actif : s’engager dans un comportement en vue d’atteindre un but et le maintenir jusqu’au bout. On parle alors de volonté.
De façon générale, la capacité de self-control, de la maîtrise de soi ou de la volonté, trois termes à peu près équivalents, est sollicitée lorsqu’il y a un conflit entre un objectif à court terme (par exemple regarder un nouvel épisode de sa série préférée) et un objectif à long terme plus souhaitable (reprendre le cours qu’on a vu aujourd’hui).
Encore une fois le paradigme S1/S2 permet de mieux cerner ce phénomène. Le S1 s’exprime sous la forme de désirs et d’intuitions. Lorsque ces désirs s’accordent avec les buts délibérés déterminés par le S2, alors il n’y a aucune raison de s’y opposer : il y a équilibre entre les deux systèmes.
Mais lorsque le désir suggéré par le S1 (par exemple regarder un film tout de suite) est incompatible avec le désir du S2 (travailler ses cours), il y a un conflit, un dilemme à résoudre. Tenir le cap et ne pas céder au désir devient alors une opération coûteuse pour le S2, et les efforts mis en place pour ne pas céder à la « tentation » sont des ressources en moins pour la tâche en cours à accomplir (typiquement réviser dans le cas de l’apprentissage).
2. L’influence de la maîtrise de soi
1. Dans nos vies
Pour s’assurer de la solidité de cette découverte, une équipe néo-zélandaise suivit régulièrement 1000 enfants de leur 3 ans à leur 32 ans en mesurant régulièrement leur maîtrise de soi et les indicateurs de leurs réussites. Les résultats sont sans ambigüité. A quotient intellectuel et origine socio-économique égaux, plus la mesure de la volonté des enfants est élevée, plus leur réussite postérieure est marquée dans diverses dimensions de leur vie future, c’est-à-dire (Moffitt et al., 2011) :
- ils réussissent mieux leurs études
- ils obtiennent des emplois mieux rémunérés
- ils ont des relations de couple plus stables
- ils sont moins concernés par les problèmes de santé
- ils ont moins de problèmes avec le système judiciaire
- ils sont moins sensibles aux addictions.
Malgré ce déterminisme apparent, la majorité des psychologues considèrent que la maîtrise de soi peut se développer et qu’il est toujours possible de s’améliorer sur ce plan pour augmenter nos chances de succès. C’est donc la bonne nouvelle de ces travaux : c’est réversible et nous pouvons agir sur notre propre volonté !
2. Dans l’apprentissage
Pour arriver à consolider des apprentissages, il faut de la constance. L’engagement prolongé dans une discipline est nécessaire au maintien de l’attention, à la bonne calibration des modèles mentaux et à la consolidation des traces mnésiques. La volonté de maîtriser une discipline conduit à cet engagement prolongé. Ceci explique pourquoi le seul trait de personnalité corrélé positivement à la réussite dans les études est la maîtrise de soi (Wolfe & Johnson, 1995).
A l’inverse, l’impulsivité, la distractibilité et le manque de maîtrise de soi sont les tendances associées à la procrastination (Steel, 2007). La procrastination se définit comme « le retard volontaire d’une activité intentionnelle et nécessaire et / ou [personnellement] importante, même si l’on s’attend à des conséquences négatives potentielles qui l’emportent sur les conséquences positives du retard ». Les résultats de diverses études ont montré que la procrastination nuit non seulement à l’apprentissage, mais également au bien-être subjectif sur les plans de la santé, de la santé financière et génère de l’anxiété. (Klingsieck, 2013).
3. La procrastination
Jusqu’à 70% des étudiants se déclarent comme procrastinateurs (Schouwenburg, 2004), passant près d’un tiers de leurs journées à repousser leur travail, souvent en dormant, lisant ou en regardant la télé (Pychyl et al., 2000). Comme nous évoluons dans un environnement où de plus en plus de tentations sont omniprésentes (Netflix, Instagram, les plaisirs alimentaires, le shopping, etc.), il est d’autant plus indispensable d’être capable d’agir et de rester maître de notre volonté. Même si cela semble demander des efforts de notre part, à terme, la gestion de notre volonté aura des bénéfices importants qui seront source de satisfaction et donc de bien-être.
Comment vaincre la procrastination
Deux enseignants du MIT ont conçu deux expériences pour voir l’impact des échéances sur la procrastination. (Ariely & Wertenbroch, 2002)
Dans la première, ils ont comparé les performances de deux groupes d’étudiants d’un cursus e-learning sur 3 devoirs. Ils ont imposé des échéances régulières au premier groupe. Au second groupe, ils ont demandé à chaque étudiant de fixer lui-même ses échéances avant le dernier cours en e-learning en les avertissant que chaque jour de retard leur ferait perdre des points.
Leurs hypothèses étaient les suivantes.
- Hypothèse 1 : si les étudiants ne procrastinaient pas, ils n’auraient aucun besoin de déclarer des échéances avant le dernier jour car ça leur ferait courir un risque inutile de perdre des points. La meilleure stratégie serait de communiquer qu’on rend tout le dernier jour possible et de s’organiser librement par la suite.
- Hypothèse 2 : si les échéances étaient bénéfiques pour lutter contre la procrastination, alors les étudiants ayant des échéances (choisies ou imposées) obtiendraient de meilleurs résultats.
- Hypothèse 3 : si les étudiants étaient capables de choisir les meilleures échéances, alors le groupe libre de déterminer ses propres échéances obtiendrait les meilleures performances.
Les étudiants libres de se fixer des échéances coûteuses (elles risquaient de leur coûter des points) le firent très majoritairement, ce qui confirma leur besoin de se mettre des échéances pour lutter contre la procrastination. Lors de cette première expérience, les étudiants qui avaient le mieux réussi furent ceux à qui l’ont avait imposé les échéances, suivi du groupe s’étant fixé lui-même des échéances. Ceux qui avaient choisi de ne pas déclarer d’échéances avant le dernier cours (27%) eurent les moins bons résultats.
Ils répliquèrent leur résultat avec une seconde expérience et observèrent que les étudiants qui s’étaient fixés des échéances à intervalle régulier obtinrent d’aussi bons résultats que si on les leur avait imposées.
Avoir des échéances est donc bénéfique pour lutter contre la procrastination. Les échéances sont encore plus bénéfiques quand elles nous sont imposées ou que l’on prend des engagements pour les tenir à la meilleure date sans négocier avec soi-même.
[1] A partir d’un certain âge, le test du marshmallow ne fonctionne plus. Les adultes savent différer de 15 minutes la récompense. L’économie comportementale a mis au point un autre marqueur de la capacité à différer la récompense : le taux d’actualisation temporel. Voici comment on le mesure. On pose des questions à l’individu type : « Préfères-tu recevoir tout de suite 10€ ou recevoir 12€ dans une semaine ? »
En faisant varier les valeurs (le temps ou les montants), on arrive à un équivalent où recevoir tout de suite l’argent est aussi souhaitable que différer son obtention. C’est ce point d’équilibre qui permet de définir le taux d’actualisation temporelle.
La procrastination en vidéo
Voici une vidéo hilarante qui parle très bien de la procrastination. A voir absolument.
N’oubliez jamais que
- La maîtrise de soi
- est la capacité à résister à la tentation
- joue un rôle important dans la réussite de diverses dimensions de la vie : les études, la santé, la vie professionnelle …
- peut être développée
- Le trait de personnalité « maîtrise de soi » est le seul corrélé positivement à la réussite dans les études
- La procrastination nuit à l’apprentissage, au bien être subjectif et génère de l’anxiété
- Se voir imposer ou s’imposer des échéances coûteuses permet de vaincre la procrastination
Bibliographie
Ariely, D., & Wertenbroch, K. (2002). Procrastination, Deadlines, and Performance: Self-Control by Precommitment. Psychological Science, 13(3), 219–224.
Klingsieck, K. B. (2013). Procrastination: When good things don’t come to those who wait. European Psychologist, 18(1), 24–34. https://doi.org/10.1027/1016-9040/a000138
Moffitt, T. E., Arseneault, L., Belsky, D., Dickson, N., Hancox, R. J., Harrington, H., Houts, R., Poulton, R., Roberts, B. W., Ross, S., Sears, M. R., Thomson, W. M., & Caspi, A. (2011). A gradient of childhood self-control predicts health, wealth, and public safety. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 108(7), 2693–2698. https://doi.org/10.1073/pnas.1010076108
Pychyl, T. A., Lee, J. M., Thibodeau, R., & Blunt, A. (2000). Five days of emotion: An experience sampling study of undergraduate student procrastination. Journal of Social Behavior and Personality, 15(5), 239.
Schouwenburg, H. C. (2004). Procrastination in Academic Settings: General Introduction. In Counseling the procrastinator in academic settings (pp. 3–17). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/10808-001
Steel, P. (2007). The nature of procrastination: A meta-analytic and theoretical review of quintessential self-regulatory failure. Psychological Bulletin, 133(1), 65.
Wolfe, R. N., & Johnson, S. D. (1995). Personality as a Predictor of College Performance. Educational and Psychological Measurement, 55(2), 177–185. https://doi.org/10.1177/0013164495055002002