Gary Klein est une référence dans l’étude de l’expertise. Il a énormément travaillé à comprendre comment les experts arrivent à prendre très rapidement les bonnes décisions, voire les meilleures.
Voici un exemple désormais classique. Une équipe de pompiers déboule dans une cuisine en feu. Alors qu’ils commencent à arroser le feu, le commandant se surprend lui-même à hurler un ordre : « Sortez tous d’ici ! » sans même comprendre pourquoi. A peine sont-ils sortis de la cuisine que le sol s’effondre. Ce n’est qu’a posteriori que le commandant arrive à analyser sa réaction : « Le feu m’est apparu anormalement silencieux et j’avais curieusement chaud aux oreilles. Ces deux éléments ont alerté mon intuition d’un danger imminent. »
En fait, le foyer de l’incendie n’était pas dans la cuisine, mais en dessous, dans la cave. Cette décision a probablement sauvé la vie de son équipe.

Sommaire
Toggle1. Environnement, modèles mentaux et expertise
L’étude de la prise de décision de nombreux experts a conduit Gary Klein à identifier ce qui fait l’expertise. Lorsqu’on travaille longtemps dans un environnement suffisamment régulier, avec l’appui d’un enseignement théorique, notre cerveau développe des modèles mentaux de cet environnement. Notre Système 1 s’appuie sur ces modèles mentaux pour interpréter la situation. Une consultation inconsciente, automatique et rapide de nos modèles mentaux en mémoire permet de percevoir clairement le problème et d’y apporter une réponse efficace. (Klein, 2015)

2. Rappel sur le fonctionnement de l’apprentissage bayésien
Le système d’inférence bayésienne pourrait se résumer à ça :
- Estimer ce qui est le plus vraisemblable à partir de nos a priori,
- Actualiser nos a priori avec les nouvelles informations que nous collectons.
Toute une partie du traitement de l’information, du traitement des problèmes, est effectuée par notre Système 1 avant même d’accéder à notre conscience. C’est la partie a priori de la résolution du problème dans le modèle bayésien. Plus nous développons notre expertise dans un domaine, plus nous développons des modèles mentaux efficaces dans ce domaine, et plus notre intuition devient fiable dans ce domaine.

3. Automatiser pour accéder à des traitements de plus haut niveau
Lorsque le traitement des modèles mentaux de plus bas niveau est automatisé grâce à son inscription profonde et durable dans la mémoire à long terme, l’expert peut traiter les informations extrêmement rapidement. C’est ce qu’il se passe lorsqu’un maître aux échecs mène de front plusieurs parties d’échecs en masterclass.

L’automatisation des traitements de plus bas niveau permet de libérer des ressources cognitives pour des traitements de plus haut niveau. Ainsi l’automatisation de la lecture permet de libérer des ressources cognitives pour traiter le sens du texte. Un élève ayant des difficultés à lire se retrouvera donc en difficulté pour à la fois décrypter le texte et en interpréter le sens. Keith Stanovitch traite des conséquences désastreuses du déficit de compétence en lecture sur l’ensemble de la scolarité. Lire étant un prérequis pour apprendre via la lecture, de nombreuses études montrent que l’ensemble des apprentissages scolaires sont affectés par un déficit en lecture, phénomène qu’il nomme l’Effet Mathieu, en référence au verset biblique “A celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait.” (Stanovich, 2009)

L’amorçage
Nous avons vu que la compréhension est fortement déterminée par la mémoire à long terme. Cette mémoire permet un a priori sur lequel se fonde le jugement intuitif. Il faut néanmoins souligner que cet a priori est également modulé par le contexte : l’environnement, les évènements précédents, l’humeur de la personne, etc. Cette modulation est connue sous le terme d’amorçage. Elle explique pourquoi la réponse d’une même personne fluctue avec le contexte. En fait, le traitement du contexte par le Système 1 se produit même quand le contexte n’a rien à voir avec le sujet traité : il faut en tenir compte. Par exemple, si nous sommes irrités parce que quelque chose ne se passe pas bien à notre travail, nous risquons de ramener notre mauvaise humeur à la maison et d’en faire profiter nos proches, qui n’ont rien à voir avec la situation.

De façon plus subtile, la manipulation du vocabulaire, ou encore de l’expression faciale, entraîne un effet d’amorçage.
Voici quelques exemples de modulation du comportement par l’amorçage :
- Demander à des étudiants de manipuler des mots en lien avec la vieillesse (chauve, ridé, gris, …) les conduits à marcher plus lentement pour changer de salle.
- Suggérer l’idée de l’argent grâce à une pile de billets de Monopoly ou un économiseur d’écran conduit à se comporter de façon plus individualiste.
- Être exposé à des publicités alimentaires stimule une mauvaise alimentation et favorise la prise de poids.
- Sourire fait trouver les dessins humoristiques plus amusants.
- Dire non de la tête fait trouver les messages audio moins crédibles.
- Beaucoup d’autres exemples sont identifiés par les chercheurs en psychologie. (Kahneman, 2011) (Harris et al., 2009)
N’oubliez Jamais que
- L’expertise, pour se développer, nécessite une immersion prolongée dans un environnement régulier
- L’expérience permet d’enrichir ses a priori, d’améliorer ses inférences et de calibrer ses modèles mentaux
- Le traitement de haut niveau repose sur l’automatisation du traitement de bas niveau
- L’amorçage fait varier le comportement d’une façon inconsciente en fonction du contexte